De
Baloji on connaissait la richesse de l’univers artistique, présente déjà dans ses deux premiers courts métrages,
Kaniama Show et
Zombies, mais aussi dans ses clips, ses albums, et ses multiples collaborations. Un univers flamboyant, chargé de son histoire et de son parcours, et qui trouve toute sa puissance dans
Augure, son premier long métrage, choisi par la Sélection officielle de Cannes, où il a d’ailleurs remporté le prix New Voice de la section Un certain regard. Le film suit la trajectoire de quatre personnages en lutte contre les assignations, dans une Afrique fantasmatique. Chaque récit vient en son temps. Koffi, Paco, Thasla et Mujila sont autant de victimes des projections des fantasmes des autres. Leurs chemins s’entremêlent dans un autre espace-temps, qui les engloutit, une autre réalité, un lieu brûlant devenu interdit. Cette lutte commune aux quatre personnages pour se libérer des injonctions, et des identités imposées trouve une résonance dans les tableaux teintés de surréalisme qui émaillent le récit, forts d’une charge symbolique qui exacerbe les émotions. Les personnages semblent hantés par des deuils impossibles, des doubles virtuels, ce qu’on attend d’eux et qu’ils ne seront jamais, le cinéaste aussi peut-être, parvenant à transmettre ces obsessions, laissant l’espace à chacun d’y projeter ses propres doutes.
Augure compte 13 nominations, un record aux Magritte du Cinéma. Il est produit par
Benoît Roland pour
Wrong Men, dont c’est la sixième apparition dans cette catégorie après
Préjudice (2016),
Parasol (2017),
Lola vers la mer (2020), et
Rien à foutre et
Animals (pour 10.80 Films) l’année dernière.
Premier long métrage également pour
Emmanuelle Nicot, dont le film précédent,
A l’arraché, était déjà nominé aux Magritte du Cinéma dans la catégorie Meilleur court métrage. De ce film, on retrouve l’incroyable direction d’acteur de la cinéaste, et son sens aigu du casting.
Dalva doit énormément aux choix faits par Emmanuelle Nicot en la matière. D’abord celui de sa jeune héroïne, Zelda Samson, stupéfiante de vérité, de tous les plans ou presque, véritable révélation - elle est d’ailleurs nominée pour le Magritte du Meilleur espoir féminin. Celui aussi des rôles secondaires, notamment la jeune Fanta Guirassy qui incarne Samia, où les quelques adultes qui accompagnent la jeune fille, Alexis Manenti, Marie Denarnaud, ou encore Sandrine Blancke, en lice pour le Magritte du Meilleur second rôle. Le film bouleverse aussi par sa capacité à traiter pudiquement la question de l’inceste, sans l’éviter pour autant, en se concentrant sur le chemin de reconstruction de son héroïne, sur sa propre histoire qu’elle doit se ré-approprier pour surmonter le traumatisme. Retenu par la Semaine de la Critique de Cannes, le film y a reçu le Prix de la Révélation pour Zelda Samson justement, ainsi que le Rail d’or et le Prix Fipresci.
Dalva compte 9 nominations cette année. Le film est produit par
Julie Esparbes pour
Hélicotronc, dont c’est la deuxième participation dans cette catégorie, qu’elle a déjà remportée en 2022, mais quelle participation, puisque la société est doublement nominée pour
Dalva et
Le Syndrome des amours passées!
Comme Emmanuelle Nicot,
Zeno Graton a déjà connu une nomination aux Magritte du Cinéma pour son précédent film, le court métrage
Jay parmi les hommes, en 2016.
Le Paradis, son premier long métrage, a été découvert en première mondiale au Festival de Berlin, dans la section Generation.
Le Paradis est une fugue amoureuse, au sens d’échappée, tant ses protagonistes s’évadent de leur prison mentale (et plus si affinités) grâce au sentiment amoureux, mais aussi au sens musical de contrepoint à la fois par l’autre regard que le cinéaste nous permet de poser sur cette jeunesse réduite à l’enfermement, et par la façon dont les voix de Joe et William se répondent, en canon. Le film déploie aussi un imaginaire renouvelé de l’amour au masculin, à travers un chant d’amour et de liberté, qui donne à voir des masculinités alternatives, faites de tendresse et de solidarité, nourries aussi par l’amour de l’art qui permet aux corps et aux coeurs d’exulter.
Le Paradis est produit par
Valérie Bournonville et Joseph Rouschop pour
Tarantula, dont c’est la quatrième nomination dans cette catégorie après
Mobile Home en 2013,
Tous les chats sont gris en 2016 et
Bitter Flowers en 2019. Le film totalise 6 nominations.
Le Syndrome des amours passées marque le retour d’
Ann Sirot et Raphaël Balboni, grands gagnants de l’édition 2022 avec
Une vie démente, lauréat de 7 statuettes, dont celle du Meilleur film. Présentée en première mondiale en mai dernier en ouverture de la Semaine de la Critique de Cannes, cette comédie romantique revisitée surprend par sa folle créativité. Avec ce nouveau film, Sirot & Balboni retrouvent un processus créatif qui leur est cher, celui de la contrainte. Contrainte d’un postulat de base fantastique (coucher avec d’autres que son partenaire pour réussir à faire famille), contrainte d’un motif esthétique ludique et onirique (les scènes de sexes fantasmées comme de petits tableaux poétiques), contrainte d’une forme rythmée par le montage en jump cut et la frontalité des plans-séquences. Après avoir exploré le drame des maladies neuro-dégénératives avec une fantaisie militante dans
Une vie démente, ils s’attaquent cette fois aux questions de l’infertilité et des injonctions à faire famille dans une société hétéronormée. L’intime est politique, et leur regard plein de malice, d’humour et d’imagination sur la trajectoire de Rémi et Sandra ouvre les possibles quant aux façons de faire famille encore à inventer.
Le film récolte 8 nominations, qui saluent notamment les excellentes performances de leurs deux amoureux, Lucie Debay et Lazare Gousseau. Comme
Dalva, il est produit par
Julie Esparbes pour
Hélicotronc, qui accompagne donc une fois de plus ce duo détonnant.
Dernière oeuvre en lice, un autre premier film, celui d’
Ève Duchemin, déjà couronnée aux Magritte du Cinéma en 2017 pour son documentaire
En bataille, portrait d’une directrice de prison, plongée au coeur de l’institution carcérale. Après avoir sondé ses difficultés aux côtés d’une figure d’autorité, la réalisatrice a eu envie de tourner son regard vers les détenus, en condensant le récit autour d’un moment charnière de la vie des prisonniers, la permission, cette parenthèse qui leur permet (ou pas) de renouer avec leur vie d’avant.
Temps mort débute quelques heures avant la sortie, dans ce lieu clos où la vie est comme étouffée. Trois hommes, M. Hamosin, Anthony et Colin vivent une apnée interminable en attendant de refaire surface. La prison contient les corps et anesthésie les émotions. Leur confrontation avec l’extérieur ne sera pas une promenade de santé. Si la prison n’apparait que dans les toutes premières minutes, elle est présente, sans cesse, dans les esprits des détenus, perdus dès lors qu’ils ne sont plus contenus, ni leurs corps ni leurs émotions, quand ils approchent du point de rupture où cèdent les digues. Accablés par le poids de leur crime, et la dette qu’ils ont contractée vis-à-vis de leurs proches et de la société, déshumanisés par une institution carcérale qui laisse des traces, ils vont devoir apprendre à rétablir le dialogue, social et familial, qui seul peut leur laisser entrevoir une possible rédemption.
Temps mort est nominé dans les catégories Meilleur film et Meilleur premier film. Il est produit par
Annabella Nezri pour
Kwassa Films, qui accompagnait déjà Ève Duchemin pour
En bataille, et dont c’est la première nomination dans cette catégorie.